Le 16 février 1899, le président de la République, Félix Faure, meurt d’une congestion cérébrale à l’Élysée, dans le « salon bleu » et les bras d’une maîtresse. Bien que l’homme ait donné son nom à des avenues sa mort, en galante compagnie, est à peu près le seul fait qu’il laisse dans l’histoire. À l’époque, la vie amoureuse des hommes politiques est taboue. Il faudra attendre dix ans pour savoir que Félix Faure a succombé en compagnie d’une certaine Marguerite Steinheil, demi-mondaine, qui y gagnera un poétique surnom : « la pompe funèbre ».
Ces temps où les frasques des chefs d’État demeuraient secrètes sont révolus. La plupart des médias versent désormais dans les excès de la « pipolisation » ( peopolisation ). La vie intime des personnalités politiques est fouillée au scanner. Le droit de chacun au respect de sa vie privée, et la liberté d’expression et d’information sont deux libertés fondamentales. La lecture régulière de la presse permet de constater que ces deux droits fondamentaux s’opposent. Où s’arrête la liberté d’expression ?
À quelle condition un élément de la vie personnelle peut-il être relaté, au nom du droit à l’information du public ? Il appartient aux journalistes de rechercher le juste équilibre. En la matière, les tribunaux apprécient les situations litigieuses au cas par cas, en fonction d’un critère déterminant.
« Ce critère est le suivant : l’information n’est légitime que si elle s’inscrit dans la relation d’un "fait d’actualité" ou si elle est utile dans le cadre d’un véritable débat d’intérêt général.» Jurisprudence établie, comme le souligne Me Jean-Marc Miglietti, avocat lyonnais spécialisé dans ce domaine.
On comprend, dès lors, que de manière répétitive, une certaine presse people, à sensation, franchisse la « ligne rouge » séparant la vie privée de la vie publique des personnalités politiques. Faits aggravants : depuis la campagne des élections présidentielles, des quotidiens et des hebdomadaires, réputés sérieux, s’attardent, à leur tour, sur des épisodes de la vie personnelle des candidats ou élus. Face à ces critiques, les journaux rétorquent qu’à propos de la séparation Royal Hollande, ces derniers avaient « communiqué » sur leur couple, un argument similaire s’appliquant au divorce des époux Sarkozy.
Une chose est sûre : depuis la « rumeur » du mariage Carla Bruni - Nicolas Sarkozy, de nombreux titres de la presse écrite franchissent allègrement la ligne rouge. « La vie politique française a atteint un degré de frivolité sans précédent sous quelque république que ce soit, constate Alain Duhamel dans Libération ( …) Dans la presse quotidienne de qualité, la vie privée du couple présidentiel mais aussi, à un moindre degré, des principaux responsables politiques devient une rubrique en pleine expansion... Partout dans le traitement de l’actualité politique, la forme éclipse le fond, et le décor efface la pièce ».
Il convient de rappeler qu’aucun rédacteur en chef de la presse écrite n’aurait imaginé, il y a cinq ans à peine, que la vie privée d’un président occuperait une telle place. Certes, les Français ne la dédaignent pas, comme en attestent les ventes des journaux. Cependant, la presse écrite qui traverse une période de turbulence prend un grand risque en cédant aux vertiges de la pipolisation, celui d’accentuer sa perte de crédibilité et d’altérer la confiance des lecteurs. Un sondage publié par La Croix en témoigne. Le baromètre TNS Sofres de la confiance des français dans les médias, réalisé lors de la campagne des présidentielles, révèle que 63% des personnes interrogées (contre 30%) pensent que les journalistes ne sont pas indépendants face aux pressions des partis politiques et du pouvoir.
À Nice, le club de la presse Méditerranée 06 qui réunit une soixantaine de journalistes des Alpes-Maritimes vient de publier une « lettre ouverte aux politiques » (voir ci-dessous) qui souligne « le renforcement des pressions qu’exercent ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir sur les journalistes ». Le Club de la presse rappelle que le journaliste est tenu de faire preuve d’une certaine éthique « éviter ainsi de traiter les sujets relatifs à la vie privée, de leurs côtés, les personnalités politiques doivent respecter l’indépendance de la presse ». Ces principes, s’ils étaient respectés, de part et d’autres, devraient éviter le franchissement de la « ligne rouge ».
Paul Barelli
Le Petit Niçois
LETTRE OUVERTE AUX CANDIDATS AUX ÉLECTIONS MUNICIPALES DE MARS 2008
À 50 jours du scrutin, le moment est venu pour vous, candidats et candidates, de prendre quelques franches et saines résolutions et, pour nous, journalistes, de vous rappeler quelques règles simples et claires pour que ce rendez-vous du suffrage universel se déroule dans un climat démocratique et médiatique exemplaire. Il fera ainsi honneur à notre département qui doit, comme chacun sait, viser l’excellence dans tous les domaines.
Aux questions, tu répondras Quand vous «convoquez» comme vous dites, à une conférence de presse, à la fois les journalistes et vos militants, est-ce une conférence de presse ou un meeting électoral ? Abstenez-vous de vouloir organiser en même temps l’une et l’autre. Si vous avez choisi la conférence de presse, ne soyez pas tentés de ne sélectionner que les «bons journalistes», c’est à dire ceux que vous pensez acquis à votre cause. Acceptez le pluralisme mais aussi prenez en compte la diversité - c’est à dire la richesse - des différents médias (presse papier, presse sur le web, presse audiovisuelle) et quand les journalistes vous posent des questions –a priori une conférence de presse c’est fait pour ça- répondez-y !
La langue de bois, tu excluras Monde de la politique, tu es impitoyable mais devant nos micros et devant nos caméras, comme «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !». Prenez conscience que le citoyen n’a plus à être déniaisé sur la chose publique et ne nous servez plus vos réponses avec une langue de bois. Rangez cette langue dans son fourreau et trouvez le ton juste. Il n’est pas interdit de parler vrai, même en politique !
Des pressions, tu t’abstiendras Vous pensez que les journalistes «racontent n’importe quoi» et qu’il est toujours préférable de vérifier, auprès d’eux, qu’ils ont bien compris l’intime subtilité de votre pensée politique. Attention : les journalistes n’aiment pas forcément les cours de rattrapage, les appels délicats pour qu’ils vous lisent leur papier avant parution. Ou encore : évitez, si vous êtes maire d’une commune rurale et que votre secrétaire de mairie est la correspondante du journal local, d’être soudainement trop attentionné à son égard. Les fâcheux pourraient vous accuser de harcèlement médiatique. Préférez la posture de l’aigle. Prenez de la hauteur. Ainsi vous lâcherez mieux les baskets des journalistes.
Aux ingérences, tu renonceras Si le papier d’un journaliste, le sujet d’un JT ou votre interview sur une radio vous donnent des boutons évitez de compulser fébrilement l’annuaire téléphonique de votre portable : il sera toujours temps, pour vous plaindre du journaliste concerné, d’appeler son chef de service. et même, un conseil : ne l’appelez pas du tout ! Les journalistes détestent se faire «remonter les bretelles» par des chefs de service qui sont d’abord là pour les défendre ! Ils ne sont pas rancuniers mais ils n’oublieront pas l’épisode ! Aux photographes, tu te montreras Quand vous organisez des meetings ou que des personnalités nationales viennent vous soutenir, laissez travailler les photographes, ces journalistes de l’image. Ils se heurtent de plus en plus à vos «conseillers en communication» qui spéculent sur votre meilleur profil ! Ne parquez pas les photographes dans des cages contrôlées par votre service d’ordre. Organiser n’est pas contraindre.
Enfin, Candidats, candidates, Un dernier conseil : quand, après un meeting, allongés sur votre couche pour quelques heures de sommeil, vous ne parviendrez pas à fermer l’œil malgré la fatigue qui vous envahit, sortez de votre attaché-case un petit livre indispensable à votre métier d’homme –de femme- politique : La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Celle du 26 août 1789. Relisez l’article 11. Il vous remettra les idées d’équerre : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les termes déterminés par la loi». Après, seulement après, vous vous endormirez rasséréné et prêt pour un lendemain victorieux !
Le Club de la Presse Méditerranée 06